La petite graine commence à prendre racine en France

À son installation en 2014, Marion Breteau et son compagnon décident de se lancer dans une diversification originale : la production de quinoa, une plante exotique des hauts plateaux andins, où elle est cultivée depuis plusieurs millénaires à 4 000 m d’altitude. Des conditions de culture très différentes de celles du Berry où se situe l’exploitation des jeunes agriculteurs. Qu’est-ce qui les a donc incité à choisir cette espèce, plutôt rare dans les assolements français ? Réponse dans ce reportage…

Marion et Damien dans un champ.

Selon Damien et Marion Breteau, il est essentiel de penser aux débouchés avant de se lancer dans une nouvelle production. (©Marion et Damien Breteau)

En 2014, Marion Breteau rejoint son compagnon Damien qui a repris l’exploitation familiale de 350 ha, dont 80 ha de prairies destinés aux 70 vaches Salers. Les jeunes agriculteurs cultivaient du blé, de l’orge, du colza et du tournesol. Mais pour le blé, ils sont en concurrence avec des pays qui produisent moins cher. Quant au colza, compte tenu des conditions météorologiques, une fois sur deux, il ne lève pas. Ils décident alors de se diversifier.

Marion Breteau est l’un(e) des trois jeunes agriculteurs(rices) lauréat(e)s du concours Graines d’agriculteurs en 2018. Celui-ci récompense les producteurs installés depuis moins de cinq ans ayant développé des activités innovantes, créatrices de valeur ajoutée et de lien avec la société.

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Lors de leur cursus, à l’École supérieure d’agriculture de Purpan, ils avaient eu un cours sur les graines issues d’autres continents, dont le quinoa. Cette dernière pourrait peut-être remplacer certaines cultures de l’exploitation, dont les performances techniques ou économiques ne sont plus garanties. Mais pas question de foncer sans réfléchir : ils rencontrent d’abord quelques-uns des rares producteurs français et partent au Pérou, pour découvrir les méthodes de culture du quinoa, le matériel utilisé et les techniques de préparation.

Une culture différente

Le quinoa n’est pas si simple à cultiver. Il existe plus de 120 variétés, aux couleurs très diverses (blanc, noir, rose, rouge, vert, violet, marron) et dont la hauteur peut varier entre 50 cm et 3 m : les unes poussent sur les hauts plateaux, les autres en bord de mer, certaines supportent la sécheresse alors que quelques-unes préfèrent l’humidité… Avant de décider laquelle semer, Marion a fait plusieurs essais sur 4 ha. Puisque le quinoa est une culture de printemps, les jeunes producteurs réalisent les semis en mars pour une récolte en septembre. Étant en TCS, ils ne labourent pas et préparent le sol avec un déchaumeur Terrano. Ils utilisent un semoir monograine, avec une densité de 10 kg/ha. La levée est une étape délicate : le climat doit être chaud sans trop d’humidité.

Bouture de quinoa

La levée du quinoa est une étape délicate : il doit faire chaud sans trop d’humidité. (©Marion et Damien Breteau)

Le désherbage n’est pas simple non plus : il n’existe pas d’herbicide homologué pour le quinoa en France car cette culture est très peu répandue. La principale difficulté : éradiquer les adventices de la même famille, c’est-à-dire appartenant aux chénopodiacées. Marion et Damien se servent d’une bineuse et pour les parcelles trop sales, ils terminent à la main. Le reste de la croissance de la plante se déroule sans trop de problèmes, avec parfois un peu de mildiou et lors de la floraison, l’apparition d’insectes de type altises ou pucerons. La récolte est assez simple et s’effectue à la mi-septembre : les plants mesurent alors autour d’1,10 m et il est possible d’utiliser une moissonneuse classique moyennant quelques réglages. Au fil des années, le couple a gagné en technicité et cultive désormais 40 ha de quinoa. Il pratique une rotation sur cinq ans, sachant que cette culture structure très bien le sol.

Moisson du quinoa

La levée du quinoa est une étape délicate : il doit faire chaud sans trop d’humidité. (©Marion et Damien Breteau)

Les origines du quinoa

Le quinoa appelé aussi riz des Andes est une plante très ancienne, appartenant à la famille des chénopodiacées (comme les épinards et les betteraves) et cultivée par les populations précolombiennes. Les archéologues en trouvent les traces au Pérou et en Bolivie remontant à plus de 5 000 ans. Les conquistadors délaissent cette plante car son absence de gluten la rend inappropriée à la fabrication du pain. En outre, sa couche protectrice, la saponine, complexifie son utilisation.
Le quinoa tombe dans l’oubli. Aujourd’hui, on le redécouvre pour pallier les intolérances au gluten et suite à la montée en puissance du véganisme. Sa composition riche en fer, oméga-3, fibres, et en huit acides aminés essentiels dont la lysine en font l’aliment choisi par la Nasa pour l’alimentation des astronautes. La consommation de quinoa dans le monde est en pleine croissance, et plus de 90 % de la production provient de la Bolivie et du Pérou (Source : planétoscope)

Un produit fini complexe

Avant d’être consommées, les graines doivent être débarrassées de leur couche protectrice. Généralement, cette étape consiste à les brosser ou les frotter pour enlever la saponine, puis ensuite à les laver pour supprimer tous résidus. Marion et Damien ont mis deux ans à mettre au point leur technique de désaponification, avec une machine qu’ils ont adaptée. Ils la gardent donc secrète et n’excluent pas de la faire breveter. En revanche, ils partagent volontiers le reste de l’expérience qu’ils ont acquis avec d’autres agriculteurs du Cher qu’ils forment à la culture du quinoa

Penser commercialisation avant toute production

Selon Marion, il est essentiel de penser aux débouchés avant de se lancer dans une nouvelle production. C’est pourquoi elle a lancé une étude de marché, dont les résultats se sont avérés encourageants. En France, en 2017, la consommation de quinoa avoisinait 6 000 t, importées à 70 %. Cet aliment est en effet très prisé grâce à sa haute valeur nutritionnelle et son absence de gluten.

Champ de quinoa

Il existe plus de 120 variétés de quinoa. (©Photo libre de droits)

Ce n’est pas une graine, mais une fleur ! Retrouvez le dernier témoignage de la rubrique « Mon projet, mon avenir » sur le houblon, une autre culture de diversification : Foncier, financement, débouchés : le houblon fait gravir des montagnes !

 

Même si 80 % de sa production est vendue aux grossistes, Marion a créé sa propre marque, qu’elle a baptisée « Sa majesté la graine« , et développé le site web samajestelagraine.com, où les consommateurs peuvent notamment consulter la liste des distributeurs, de l’épicerie fine au supermarché, et trouver des recettes. L’agricultrice commercialise aussi du petit épeautre (30 ha) et des lentilles corail (30 ha).

Pour promouvoir son quinoa et assurer sa commercialisation, Marion a su utiliser les réseaux sociaux et impliquer les élus qui, chacun à leur manière, ont contribué à la notoriété de la marque. Par exemple, la carte du restaurant parlementaire à l’Assemblée nationale propose un plat nommé « Barbue rôti, galette moelleuse de quinoa du Berry ».

Un défi rentable

Finalement, la culture du quinoa est plus rentable qu’une céréale. Les rendements sont conséquents − 2,2 t/ha − mais la semence reste onéreuse. D’ailleurs, la principale difficulté lorsqu’on commence une nouvelle culture est d’obtenir une bonne semence, qui soit adaptée au terrain et les jeunes agriculteurs n’en ont pas encore trouvé qui le soient parfaitement aux sols argilo-calcaires et limono-argileux de l’exploitation. À côté du quinoa, de l’épeautre et des lentilles corail, ils continuent à cultiver du blé, commencent le pois et n’ont presque plus de colza, d’orge ni de tournesol.

Graines de quinoa dans paume de la main

La principale difficulté lorsqu’on commence une nouvelle culture est d’obtenir une bonne semence, qui soit adaptée au terrain. (©Barbara Atès)

La guerre du quinoa

Historiquement, c’est sur les hauts plateaux boliviens que la production de Quinoa démarre. La graine est cultivée et récoltée à l’ancienne, manuellement, sans utilisation de pesticides. La production bolivienne étant limitée, les prix sur le marché international s’emballent pour atteindre le pic de 9 000 €/t en 2013. 

Les péruviens se mettent à produire du quinoa et de manière industrielle. Ils optimisent les rendements jusqu’à trois récoltes par an et sélectionnent les graines pour obtenir un quinoa avec une couche de saponine extrêmement fine afin de réduire la phase de désaponification, qui est une étape longue et fastidieuse. Revers de la médaille, la saponine ne protège plus la graine et les insectes attaquent le quinoa. Les péruviens solutionnent le problème à coup d’insecticides, y compris en utilisant de l’acéphate, molécule interdite en Europe, qu’ils mélangent directement à la graine avant de la planter.

Le Pérou devient le premier producteur mondial de quinoa tandis que les cours chutent pour atteindre 5 000 € en 2015. Le quinoa bolivien tente de se démarquer en jouant la carte du bio et a les préférences des adeptes de ce mode de production et du commerce équitable. Quelques petits malins décident d’exporter illégalement du quinoa péruvien en Bolivie afin qu’il soit mélangé aux graines nationales et vendu en tant que quinoa bolivien. Finalement, ce manque de traçabilité laisse toutes ses chances au quinoa français.

Pour l’avenir, ils se dirigent en douceur vers une production de quinoa bio. Marion s’implique sur les réseaux sociaux et essaie, en particulier, de faire prendre conscience aux consommateurs, qu’acheter un produit français limite l’empreinte carbone et que si son prix est souvent supérieur aux aliments des contrées lointaines, les exigences sanitaires pour le produire, comme les salaires, sont nettement supérieurs.